Avec son second article sur l’Eusko, Fabienne Pinos a remporté le prix de la meilleure contribution au Congrès international Ramics sur les monnaies locales, en septembre au Japon, qui réunissait des chercheurs des quatre coins du monde. L’enseignante-chercheuse à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour nous explique ses travaux, et son regard sur l’Eusko.

Fabienne Pinos recevant le prix de meilleure contribution au congrès International RAMICS au Japon en septembre 2019.

Votre objet d’étude est, pour une part importante, la création de valeur publique : de quoi s’agit-il, et quel est l’apport de l’Eusko dans ce domaine d’après vos premières recherches ?

 

Fabienne Pinos : C’est Moore (1995) qui introduit le concept de valeur publique. Pour lui, les entreprises privées créent une valeur privée au profit de leurs propriétaires alors que les organisations publiques génèrent une valeur publique, dont l’une des composantes peut être assimilée à l’intérêt général, au profit des citoyens et d’autres parties prenantes. 

Dans mon projet de recherche sur l’Eusko, j’ai trouvé très intéressant de mobiliser ce concept, au constat, à la simple lecture des statuts d’Euskal Moneta, d’une volonté affichée voire d’une vocation à créer de la valeur publique. Dès lors, plusieurs questions se posent, dont la suivante : en quoi et comment l’Eusko se positionne-t-il comme un outil de renouvellement de l’action citoyenne voire de l’action publique au service d’une solidarité territorialisée ?

Mes premiers résultats montrent que d’autres acteurs que les managers publics peuvent être au cœur du processus de création de valeur publique. Le projet porté par Euskal Moneta met en avant le rôle de conception, de pilotage et de pérennisation dont peuvent s’emparer des collectifs citoyens organisés.

Il s’agit aussi ici de former un consensus sur les besoins locaux et de motiver l’engagement communautaire. D’autre part, l’Eusko donne indéniablement une nouvelle capacité d’expression démocratique aux citoyens. Cependant, si la volonté de création de valeur publique est démontrée, il reste encore à apporter la preuve des impacts sociétaux produits sur le territoire, correspondant aux ambitions de l’objet social.

Quels sont pour vous les traits les plus marquants de l’Eusko ?

Spontanément, je dirais l’énergie positive et continue qui se dégage de l’ensemble du projet et de ses participants. Il me semble que cette énergie est nourrie par la conviction qu’un changement est possible et que chacun à notre échelle nous pouvons en être les acteurs. Cette volonté, cette nécessité même, de l’action est le premier trait de « caractère » de l’Eusko de mon point de vue. Et puis, juste derrière mais très près, un grand professionnalisme, une vision à long terme, une réflexion stratégique pour que les objectifs ne restent pas sur le papier mais se concrétisent étapes après étapes. En tant que chercheur, ce processus de construction me captive.

Votre prix au Japon représente-t-il une reconnaissance importante, et quelle est en résumé la teneur de votre article ?

Fabienne Pinos : Il s’agissait de mon deuxième article sur l’Eusko, après une contribution au mois de mai à La Sorbonne à Paris dans le cadre du colloque AIRMAP, « Territoires intelligents et management public durable ».

Au Japon, le thème du Congrès Ramics était la digitalisation et ses effets sur les systèmes monétaires communautaires. Considérant l’engouement de nombreuses organisations financières, ou non-financières par ailleurs, pour la technologie Blockchain, je trouvais intéressant dans le cadre de ce colloque d’étudier en quoi la blockchain pourrait constituer une ressource clé dans le processus de création de valeur d’une monnaie locale. En tant que première monnaie locale européenne, l’Eusko constituait un objet idéal pour une étude de cas.

En résumé, mon article (téléchargeable ici) étudie les différents arguments pour et contre l’utilisation d’une technologie Blockchain et les confronte aux ressources et activités clés qui supportent le modèle économique d’Euskal Moneta et contribuent à son équilibre. Or, c’est l’équilibre de ce modèle qui est essentiel pour la création de valeur territoriale souhaitée par Euskal Moneta et ses membres. En quelques mots, les principes directeurs détectés chez Euskal Moneta : réactivité, accompagnement des utilisateurs et confiance, ne font pas, à ce stade, de la Blockchain une ressource clé pour une monnaie locale. Cela ne veut pas dire que cette technologie doit être négligée, elle deviendra peut-être dans quelques années, contrairement à aujourd’hui, un support incontournable.

Concernant le prix, j’ai évidemment été très honorée de le recevoir dans un contexte où des chercheurs de 21 nationalités différentes étaient présents. Mais ce que je trouve particulièrement gratifiant, c’est de me dire que, du fait de cette mise en lumière, cet article sera davantage lu qu’il ne l’aurait été s’il n’avait pas été primé. Il me semble avoir ainsi un peu contribué à la visibilité de l’Eusko et à la visibilité de son projet sociétal.

Autre article de recherche à lire : « L’impact de la numérisation sur la trajectoire d’une monnaie locale : L’Eusko au Pays Basque Nord » (Xebax Christy, Dante Edme-Sanjurjo, Mathilde Fois-Duclerc, Yannick Lung, Julien Milanesi, Fabienne Pinos, Nicolas Piriou, and Txomin Poveda)