Le 31 janvier 2013, les premiers eusko étaient échangés. D’abord sous forme de billets à l’image du Pays Basque, puis rejoints par le déploiement de l’eusko numérique avec compte en ligne et application de paiement. Aujourd’hui, la monnaie locale du Pays Basque est la plus importante monnaie locale d’Europe, avec plus de 3,5 millions d’eusko en circulation, s’échangeant entre 1300 pros et 4000 particuliers.
Une progression rendue possible par l’engagement de dizaines de bénévoles, d’une équipe salariée impliquée, mais surtout grâce à la mobilisation des utilisatrices et utilisateurs, qui agissent quotidiennement pour montrer qu’une autre monnaie peut exister : une monnaie porteuse de valeurs, solidaire et bénéfique pour son territoire.
Car utiliser l’eusko, c’est faire vivre les acteurs économiques locaux, et bien plus. Choisir sa monnaie, c’est reprendre le pouvoir en main pour dessiner le territoire de demain : relocalisation des échanges, développement des circuits courts, transition écologique, soutien à l’emploi local et aux commerces de proximité, renforcement du lien social, promotion de la langue basque, et financement de la vie associative.
5 moments clés
Dix années se sont donc écoulées depuis la première transaction en eusko. Dix années au cours desquelles le projet de monnaie locale a émergé d’un local inter-associatif, franchi des caps importants, remporté des batailles administratives, et bénéficié du large soutien de la population du Pays Basque lors de grandes campagnes de mobilisation.
Ce point d’étape des dix ans est l’occasion de revenir sur cinq moments clés, qui ont fait l’histoire de l’Eusko :
31 janvier 2013 : Préparation au lancement
De la première réunion en juin 2011 à la mise en circulation en janvier 2013, les dizaines de bénévoles impliqués dans ce projet ont mené un important travail de réflexion, d’exploration et d’étude. Cinq d’entre eux ont même bravé l’hiver bavarois pour un voyage au pays du Chiemgauer, alors la plus importante monnaie locale d’Europe. Ils en ont notamment rapporté le système de solidarité très concret du Don 3%. Cette phase d’exploration a été ensuite complétée par une grande phase de socialisation, avec la consultation de la population, des dynamiques et structures locales. Le choix du nom Eusko est lui-même issu d’une grande campagne participative.
C’est donc le 31 janvier 2013 que se font les premiers paiements en eusko. Grâce aux efforts de l’équipe de bénévoles, le réseau de la monnaie locale compte déjà plus d’une centaine de professionnels et plusieurs centaines de particuliers, et va en quelques mois placer l’Eusko au rang de première monnaie locale de l’hexagone. Victimes de leur succès, les 126 500 eusko imprimés prévus pour tenir deux ans sont partis en trois mois, et 350 000 eusko ont dû être réimprimés en urgence.
28 août 2014 : Première convention avec l’Office Public de la Langue Basque
Au même titre que la relocalisation de l’économie, la promotion de la langue basque est une valeur fondatrice de l’Eusko. Un défi “affichage bilingue” est ainsi proposé à chaque professionnel rejoignant le réseau de la monnaie locale. Depuis reconduit chaque année, ce partenariat avec l’OPLB s’est progressivement étoffé afin d’accompagner la monnaie locale dans ses efforts pour rendre présente la langue basque dans l’espace public.
19 mars 2017 : Déploiement de l’eusko numérique et premier Eusko Eguna
Plusieurs années ont été nécessaires pour lancer l’eusko sous forme numérique. Entre conformité réglementaire et faisabilité technique, cette étape de développement a mobilisé beaucoup d’énergie et de compétences différentes. Ce chantier, lancé en 2015, s’est finalement concrétisé deux ans plus tard en 2017, lors du premier Eusko Eguna – La journée de l’Eusko. Une grande campagne de mobilisation a accompagné ce déploiement, avec notamment un financement participatif ayant permis de réunir plus de 30.000 €, et plus de 500 comptes eusko ouverts par des particuliers.
2 juin 2018 : Un accord référence pour l’utilisation de la monnaie locale par les collectivités
Les collectivités locales ont été dès le début envisagées comme parties prenantes du projet, par le rôle qu’elles peuvent jouer dans sa circulation. Les premières à avoir rejoint l’Eusko ont été en 2016 Hendaye, Ustaritz, Mendionde, puis Bayonne. Mais lorsque cette dernière a voté à l’unanimité l’utilisation de la monnaie locale pour ses dépenses (indemnités d’élu·e·s, subventions, etc.), la préfecture des Pyrénées-Atlantiques s’est obstinée à tenter de suspendre cette décision. Au terme d’une bataille juridique de plusieurs mois, la préfecture a finalement consenti un accord pour permettre ces paiements. C’est une première dans l’État français, et c’est un modèle de convention qui sera ensuite largement repris par d’autres collectivités : Lyon, Nantes, Grand Angoulême, etc.
7 octobre 2018 : Le million !
La grande fête des alternatives Alternatiba avait lieu ce week end à Bayonne pour sa seconde édition. Grâce à la mobilisation des personnes utilisatrices sur les mois qui ont précédé, et aux milliers de personnes venues sur cet événement dont l’eusko était la monnaie officielle, le cap symbolique du million d’eusko en circulation a pu être franchi. Un moment très fort et inédit pour une monnaie locale européenne, qui a propulsé l’Eusko plus importante monnaie locale d’Europe !
L’Eusko aujourd’hui
L’implication de milliers de personnes a permis à l’Eusko d’être ce qu’il est aujourd’hui : un réseau de solidarité qui véhicule des valeurs fortes, un projet structurant pour l’économie locale, un moyen d’action avec des effets bénéfiques très concrets pour la langue basque, la relocalisation des échanges ou encore le soutien aux acteurs associatifs et économiques du Pays Basque. Le bilan de ces dix années est donc très positif, et les forces vives ayant contribué de près ou de loin à cette dynamique peuvent être fières du chemin parcouru.
Quelques chiffres pour illustrer l’Eusko aujourd’hui :
Plus de 3.500.000 eusko en circulation (3.780.000 au dernier comptage du 31 janvier)
1300 professionnels : entreprises, indépendants, associations, régies publiques
36 municipalités adhérentes, plus la Communauté d’Agglomération Pays Basque
4000 utilisateurs particuliers, dont 3000 ayant ouvert un compte eusko
200.000 eusko chargés automatiquement chaque mois sur les comptes eusko des particuliers
Plus de 40 monnaies locales formées à travers l’Institut des Monnaies Locales
Plus de 50 bénévoles actifs dans les différentes instances et activités de la monnaie, plus 10 salarié·e·s
350 professionnels du réseau ayant mis en place un affichage bilingue
Des centaines de nouvelles relations commerciales créées localement : 56% des professionnels ont pris au moins un nouveau fournisseur pour réutiliser leurs eusko
Les enjeux de demain
Au cours des années, de nouveaux enjeux sont apparus. Quatre axes prioritaires se dessinent et mobilisent l’Eusko pour poursuivre son développement sur les années à venir.
Développer le réseau de particuliers
Ce sont les personnes utilisatrices de la monnaie locale qui chaque mois convertissent des euros en eusko, et les injectent dans l’économie locale, initiant ainsi des boucles de circulation vertueuses. Le développement du nombre de particuliers, ainsi que l’intensification de leur utilisation de l’eusko est un enjeu décisif sur les prochaines années. Pour y répondre, la présence sur le terrain sera renforcée, avec notamment le retour de la fête annuelle Eusko Eguna, ou encore en allant à la rencontre du public sur des événements d’autres associations, marchés, etc. De plus, de nouveaux outils sont en préparation pour faciliter encore plus l’utilisation de la monnaie locale au quotidien. L’intérêt est d’inciter les particuliers à varier leurs habitudes, et à se rendre chez de plus en plus de professionnels différents.
Fluidifier la circulation chez les professionnels
Si les particuliers initient la mise en circulation, ce sont bien les professionnels qui permettent à la monnaie locale de continuer à s’échanger. Tant qu’il circule, l’eusko reste « entre de bonnes mains », contribuant à enrichir le territoire, à la différence d’un euro qui va rapidement sortir du Pays Basque. Afin de renforcer ces échanges en circuits courts, l’effort sera intensifié pour offrir de nouvelles possibilités de réutilisation des eusko, et ainsi éviter leur accumulation chez certains professionnels. L’enjeu est de fluidifier la circulation de la monnaie locale, et construire un réseau qui maille efficacement l’économie du territoire.
Pérenniser la structure et sécuriser le projet
Avec 76% d’autofinancement en 2021, le modèle économique de l’Eusko ne dépend plus des subventions pour son fonctionnement hors investissements, et repose de plus en plus sur les adhésions et ses ressources propres.
Par ailleurs, le changement d’échelle de la monnaie locale du Pays Basque la place devant de nouvelles exigences juridiques et administratives (nomination d’un Commissaire aux Comptes, audit de la Chambre Régionale des Comptes, conformité avec l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution de la Banque de France, etc.). L’Eusko tient à être exemplaire et précurseur en la matière, car cela permet également de défricher le terrain pour les autres monnaies locales de l’hexagone.
Débloquer l’utilisation par les collectivités
Alors qu’elles pourraient soutenir l’économie de leur territoire en utilisant massivement la monnaie locale, les collectivités sont entravées par un cadre légal et réglementaire trop contraignant. Ceci est une aberration à l’heure de la prise de conscience collective sur la nécessité de la relocalisation de l’économie. Et d’autant plus lorsqu’on sait qu’un paiement en monnaie locale génère a minima 25 % de revenus supplémentaires pour le territoire qu’un paiement en euros.
C’est pourquoi l’Eusko est engagé avec le Mouvement SOL, fédération des monnaies locales de l’hexagone, dans un travail auprès des parlementaires pour formuler des propositions d’évolutions juridiques permettant de lever les freins à l’usage des monnaies locales par les collectivités.
Eusko Eguna : samedi 15 avril à Espelette
Dix ans, ça se fête ! Et c’est l’occasion de rassembler toutes les personnes qui se sont intéressées ou ont contribué au développement de celle qui est devenue la première monnaie locale d’Europe.
Le rendez-vous est fixé au samedi 15 avril prochain à Espelette pour Eusko Eguna, la fête populaire annuelle de l’Eusko, qui fera son grand retour cette année. Lieu important de rencontres et d’échanges, cet événement est à la croisée des dynamiques culturelles, économiques, paysannes, alternatives et solidaires.
Un changement d’échelle est visé cette année, afin d’inscrire Eusko Eguna dans le panorama des événements socioculturels majeurs du Pays Basque. L’identité visuelle a pour cela été confiée à Amets Azcue, lauréate du dernier concours d’affiches des Fêtes de Bayonne, et utilisatrice de la monnaie locale. Plusieurs milliers de participants sont attendus sur toute la journée et la soirée, grâce à une programmation riche qui permettra de convaincre un large public :
- Conférences
- Marché de producteurs et créateurs
- Brunch paysan et pintxo de chefs
- Nombreuses animations pour enfants : jeux gonflables, spectacle de marionnettes, balades à dos d’âne, etc.
- Découverte ludique de l’euskara avec Mintzalasai
- Animations musicales : txaranga, batucada, Herrian Kantuz
- Spectacle de danse avec Oinak Arin
- Jeux traditionnels basques avec Gaia
- Concerts le soir avec Mouss et Hakim (Zebda), Willis Drummond et le Bal du Samedi Soir
La journée est gratuite en accès libre, seuls les concerts du soir sont payants : 12 eusko en prévente, ou 15 sur place.
Billetterie en ligne et détail des points de vente sur billetterie.euskalmoneta.org
Au cours de ses 10 années de circulation, l’Eusko a montré qu’il était bien plus qu’une monnaie. Un véritable réseau porteur de valeurs, un outil de solidarité locale, et un moyen de reprendre le pouvoir sur le devenir de notre territoire.
Un long chemin a été parcouru ces dix dernières années, semé d’embûches, mais avec de nombreuses réussites. Une aventure collective et humaine incroyable, qui a permis de franchir les étapes grâce à l’implication sans faille des bénévoles, des salarié·e·s, des partenaires, et bien entendu des milliers de personnes -particuliers ou professionnels- qui font vivre la monnaie locale au quotidien.